Quels vont être les impacts concrets de l’arrivée de l’intelligence artificielle dans les cabinets comptables ? La question est en ce moment dans les têtes de beaucoup de représentants de la profession. Si certains s’inquiètent des conséquences de l’IA, sur l’emploi par exemple, d’autres y voient un outil au potentiel énorme pour parachever la transformation du métier d’expert-comptable.
Pourquoi les usages de l’IA explosent aujourd’hui ?
Que ce soit dans le secteur de la finance et de la comptabilité ou dans d’autres environnements professionnels, l’IA se diffuse aujourd’hui à grande vitesse. Cette déferlante s’explique par plusieurs facteurs :
- l’arrivée de nouveaux algorithmes très perfectionnés ;
- la disponibilité des ressources matérielles pour réaliser les calculs ;
- l’accès à de grands volumes de données.
“C’est la conjonction de ces trois éléments qui permet à une technologie déjà ancienne – le concept remonte aux années 60 – de s’imposer aujourd’hui”, explique ainsi Vincent Bonnivard, chef d’équipe IA chez Probayes, entreprise spécialisée dans la mise en œuvre de projets d’intelligence artificielle.
L’IA : déjà une réalité dans les cabinets comptables
Loin d’être de la science-fiction, l’IA est en réalité déjà présente dans les cabinets, à travers les outils utilisés par les experts-comptables ou leurs collaborateurs. En effet, des briques logicielles s’y ajoutent et permettent de déployer de nouvelles fonctionnalités faisant appel à des modèles d’IA.
D’autres usages sont dans les cartons des éditeurs et vont faire leur apparition à court ou moyen terme. Cela touche en particulier quatre grands champs d’application :
Vers une automatisation complète de la saisie comptable
C’est sans doute l’une des applications les plus surveillées par la profession comptable. Déjà entamée grâce aux moteurs de règles utilisés par les logiciels, l’automatisation va encore s'accélérer avec l’arrivée des modèles d’intelligence artificielle.
L’IA permet dès aujourd’hui de lire les factures et autres justificatifs comptables pour en extraire les informations nécessaires, d’effectuer les rapprochements bancaires et les imputations comptables.
Demain, c’est toute la saisie qui sera automatisée avec, pour les cabinets, des gains de productivité particulièrement conséquents.
“Contrairement aux moteurs de règles, les modèles d’IA sont capables d’apprendre au fur et à mesure qu’ils sont alimentés par des données, comme les factures qu’ils vont traiter ou les corrections que vont apporter les utilisateurs”, explique Laura Pallier, cofondatrice de Regate by Qonto.
L’émergence du “collaborateur augmenté”
Demander à un modèle d’IA de rédiger un résumé des mesures fiscales contenues dans le projet de loi de Finances, de traduire un contrat, d’écrire un mail en employant un ton adapté au client ? C’est déjà possible aujourd’hui.
Autant d’outils qui simplifient déjà le quotidien des collaborateurs comptables.
“En cabinet, l’IA nous aide à améliorer la pertinence de nos écrits, à rédiger des courriers ou des comptes-rendus de réunion”, explique John Levy, expert-comptable et fondateur du cabinet Trevys.
Demain, l’IA aidera également les équipes à prioriser leurs tâches automatiquement, voire prendra en charge toute la gestion de projet pour soulager les collaborateurs.
Une nouvelle dimension pour la relation client
Les gains de productivité apportés par l’automatisation de la saisie comptable vont permettre aux cabinets de se consacrer davantage à la relation client.
Et, là aussi, l’IA peut leur être d’un grand secours. On trouve déjà sur le marché des chatbots capables de répondre, en langage naturel, aux questions basiques des clients (une demande de rendez-vous, par exemple).
“Je pense qu’en 2024 nous allons faire appel à des professionnels pour déployer des petits modules Chatbot, soit sur notre site internet, soit sur d'autres applicatifs qu'on utilise. On le voit déjà chez des consœurs et confrères qui l'utilisent et qui en sont très contents”, explique John Lévy.
À court terme, on peut imaginer des modèles qui seront capables de parcourir les dossiers clients pour en extraire des réponses à des questions plus complexes.
L’IA sera aussi capable d’analyser les communications avec un client pour en déduire son taux de satisfaction ou pour mieux comprendre ses besoins.
Analyse, conseil et gestion des risques
Grâce à sa capacité à analyser d’énormes volumes de données, l’IA est capable d’en extraire certaines tendances qui peuvent être précieuses en matière de gestion des risques.
Par exemple pour prévoir à l’avance la défaillance d’un client ou alerter sur un risque conjoncturel qui pèse sur un dossier.
En s’appuyant sur l’analyse des données, l’intelligence artificielle sera également capable à l’avenir d’élaborer des scénarios de gestion de trésorerie ou des scénarios de gestion du patrimoine du dirigeant, par exemple.
Les défis de l’IA en cabinet comptable
Si le potentiel de l’intelligence artificielle appliquée à la profession comptable est énorme, l’arrivée de cette technologie pose aussi certaines questions.
L’enjeu de la confidentialité des données
Pour être entraînés convenablement, les modèles d’IA ont besoin de données de qualité. Pour les experts-comptables, soumis au secret professionnel, ce sujet est loin d’être anodin.
Les modèles ne sont en effet pas tous très transparents, c’est le moins que l’on puisse dire, sur l’usage qui est fait des données, leur lieu de stockage, leur durée de conservation, etc.
À l’heure actuelle, il est par exemple hors de question de fournir à ChatGPT un dossier client pour lui demander d’en extraire des informations.
Des précautions s’imposent donc. Par exemple, les équipes de Regate by Qonto ont entraîné les modèles d’IA en charge de la réconciliation bancaire en dressant des limites claires.
Les données d’un client ne sont pas utilisées pour entraîner un modèle utilisé pour un autre client. Et les données sont anonymisées.
La conduite du changement
L’autre enjeu pour les cabinets dans la mise en œuvre de projet IA, c’est de faire évoluer leur organisation.
Cela passe par la formation des équipes déjà en place, par le recrutement éventuel de nouveaux profils (data controllers, data analysts, chef de projet, etc.), mais surtout par une véritable politique de conduite du changement.
Le facteur humain est particulièrement important, car contrairement aux idées reçues, l’IA ne va pas remplacer les collaborateurs, qui garderont toujours le dernier mot pour valider les opérations, mais au contraire leur permettre de développer tout leur potentiel.