Comment intégrer les enjeux climatiques dans son activité freelance ?

Réduire son empreinte carbone, repenser ses choix de clients, questionner sa façon de travailler… Les enjeux climatiques s’invitent peu à peu dans le quotidien des freelances.

Beaucoup cherchent à agir, sans toujours savoir par où commencer ni quels gestes seront réellement utiles.

Pour apporter des repères concrets, nous avons interrogé Thomas Burbidge, entrepreneur et auteur de « Sauver sa peau, sa boîte et la planète : Le guide d’actions écologiques pour entrepreneurs » (Éditions Eyrolles).

Son point de départ ? L’écologie n’est pas réservée aux grandes structures. Les freelances disposent, eux aussi, de leviers d’action réels, à condition de savoir les activer.

Face à l’ampleur de la crise climatique, beaucoup de freelances oscillent entre inquiétude et sentiment d’impuissance.

Thomas Burbidge évoque un mécanisme bien connu dans les mouvements écologistes : le triangle de l’inaction.

La spécificité des indépendants ? Ils occupent simultanément les trois côtés de ce triangle :

• Individus et consommateurs, à titre personnel comme professionnel (choix d’outils, de prestataires, de matériel…).
• Acteurs économiques, via leurs offres, leurs prix, leurs pratiques.
• Citoyens et créateurs d’opinion, grâce à leurs compétences de communication, de pédagogie, de prise de parole.

Autre atout essentiel : la rapidité de transformation. Là où une multinationale mettra des mois - voire des années - à repenser ses offres, ses process ou son organisation, un freelance peut faire évoluer son activité en quelques semaines.

Cette capacité à pivoter, tester, ajuster fait des freelances des acteurs particulièrement adaptés à la transition écologique. Ce sont souvent eux qui peuvent expérimenter, montrer la voie, ou introduire de nouvelles pratiques chez leurs clients.

Avant d’agir, il faut savoir d’où vient l’impact de son activité.

Thomas propose d’intégrer le sujet dans les rituels de pilotage habituels du freelance.

Concrètement :

• utiliser un outil de bilan carbone grand public (type calculateur en ligne) pour avoir un premier ordre de grandeur ;
• répéter l’exercice chaque année, comme on le ferait pour son bilan comptable ;
• identifier les principaux postes d’émissions liés à l’activité (déplacements, numérique, achats de matériel, locaux, etc.).

L’objectif n’est pas d’obtenir une précision scientifique, mais une boussole.

• Où se situent mes plus gros postes d’impact ?
• Quelles actions auraient le plus d’effet concret dans mon cas ?

Une fois les principaux postes d’impact identifiés, l’enjeu est de les réduire progressivement, sans forcément renverser entièrement son activité.

Pour certains freelances, notamment ceux qui se déplacent régulièrement pour leurs missions, les transports peuvent représenter un poste d’impact important : rendez-vous client, tournages, événements, interventions sur site…

Quelques leviers concrets :

• privilégier le train dès que possible, plutôt que l’avion ;
• regrouper les déplacements pour limiter les allers-retours ;
• questionner le réflexe du présentiel systématique : tout nécessite-t-il réellement d’être sur place ?

Ce sont parfois des décisions de positionnement : facturer les déplacements lointains de manière à les rendre exceptionnels voire accepter uniquement des missions locales.

Thomas partage un exemple tiré de son livre : celui du photographe de mariage.

Les métiers freelances sont massivement numériques, ce qui crée souvent une illusion d’impact faible. En réalité, le numérique mobilise énormément de ressources matérielles et énergétiques.

Quelques pistes simples :

• allonger au maximum la durée de vie de son matériel ;
• privilégier le reconditionné plutôt que le neuf ;
• ne pas multiplier les outils qui remplissent la même fonction,
• limiter les accessoires tech dont l’usage reste marginal ;
• être plus vigilant sur le stockage en ligne : trier régulièrement, supprimer les vidéos 4K inutiles, éviter les doublons automatiques, nettoyer son cloud…

L’IA fait désormais partie du quotidien des freelances. Mais derrière sa simplicité d’usage se cache toute une infrastructure (serveurs, data centers, modèles énergivores) dont on ne mesure pas toujours l’impact.

Thomas le rappelle très clairement.

Il y a donc un enjeu écologique… mais aussi un enjeu de robustesse. Plus une activité repose sur des automatisations complexes, plus elle devient fragile si un outil augmente ses tarifs, change de politique, disparaît ou connaît une panne majeure.

L’objectif n’est pas de renoncer à l’IA, mais de l’utiliser avec discernement : là où elle apporte un vrai gain, sans en faire le centre de gravité de toute l’activité. Autrement dit : garder un mode de fonctionnement simple, qui peut tourner même si un outil tombe. 

Cette approche réduit l’empreinte écologique… et renforce la résilience de son activité.

Réduire son impact est une première étape. Mais Thomas invite les freelances à changer d’échelle de réflexion, vers ce qu’il appelle l’économie régénérative.

Un exemple simple pour comprendre :

• une entreprise qui fabrique des carnets consomme du bois ;
• elle peut décider de financer, en parallèle, des actions de reforestation supérieures à ce qu’elle consomme.

À l’échelle d’un freelance, cela peut signifier :

• investir une part de son chiffre d’affaires dans des panneaux solaires pour couvrir (et dépasser) sa consommation électrique ;
• contribuer à des projets locaux de régénération (agriculture, biodiversité, rénovation énergétique…) liés à son lieu de vie ;
• intégrer cette dimension dans sa stratégie de rémunération et de développement : gagner plus pour pouvoir régénérer davantage.

C’est l’un des sujets les plus sensibles : faut-il refuser les clients « mauvais élèves » sur le climat ?

Avant de parler stratégie, Thomas invite à rappeler un point de réalité : nous vivons dans un système où chacun doit assurer seul ses besoins primaires (se loger, se nourrir, se soigner).

Cette différence de marges de manœuvre explique pourquoi il n’existe pas une seule bonne stratégie. Pour Thomas, l’enjeu est plutôt de clarifier le rôle que chaque freelance souhaite (et peut) jouer dans l’écosystème :

• certains choisissent de ne travailler qu’avec les entreprises les plus avancées sur l’écologie ;
• d’autres préfèrent aider les acteurs « en retard » à faire un premier pas.

Les bonnes questions à se poser :

• Quels types de clients suis-je prêt(e) à refuser, même si le budget est intéressant ?
• Avec quels acteurs « gris » suis-je prêt(e) à travailler, à condition de poser un cadre et des objectifs de progrès ?
• Quelle est ma tolérance au conflit, à la lenteur, à la négociation interne ?

Un freelance n’est pas seulement là pour exécuter une demande.

Il ou elle arrive avec un regard extérieur, une expérience accumulée auprès d’autres entreprises… et c’est précisément ce qui lui donne un vrai pouvoir d’influence.

Concrètement, cela veut dire deux choses :

1. Sur des missions opérationnelles, même courtes : vous pouvez suggérer une option plus sobre, poser une question qui ouvre un débat, proposer une alternative plus légère ou durable. Souvent, cela suffit à enclencher une réflexion.

2. Sur des missions longues ou stratégiques (refonte de site, direction marketing part-time, accompagnement global…) : vous pouvez réellement infléchir la trajectoire d’une entreprise, même légèrement. Et à l’échelle du climat, 1 % de mieux sur un acteur en retard peut avoir plus d’impact que 10 % sur un acteur déjà exemplaire, comme le rappelle Thomas.

L’idée n’est pas de convertir de force ses clients, mais plutôt de : 

• mettre sur la table des scénarios plus sobres ou plus résilients ; 
• montrer leur intérêt économique (réduction des coûts, meilleure performance, meilleure image employeur…) ; 
• savoir saisir les fenêtres d’opportunité : refonte d’offre, nouveau produit, croissance… pour introduire ces questions.

À ces moments-là, les entreprises sont plus réceptives, et un freelance peut avoir un impact bien plus grand qu’il ne l’imagine.

Dernier point clé : tout engagement n’a pas besoin d’être brandé.

Thomas distingue deux cas de figure :

1. Vous ciblez des clients pour qui l’écologie est un critère décisif.

Dans ce cas, il est logique et cohérent d’en faire un élément central de votre positionnement :

• « sites web éco-conçus » ;
• « accompagnement RSE des PME » ;
• « photographie d’événements engagés », etc.

Ici, votre engagement fait partie de votre valeur ajoutée. Votre branding peut (et doit) l’assumer pleinement.

2. Vous ciblez des clients pour qui ce n’est pas le sujet prioritaire.

Par exemple, une entreprise qui vient vous voir pour augmenter son taux de conversion ou lancer une nouvelle offre.

« Si je travaille avec des clients pour qui l’écologie n’est pas le sujet prioritaire, ce n’est pas utile d’en faire le coeur de mon discours. Ça ne m’empêche pas d’avoir une méthode très éco-responsable… simplement, ce n’est pas un argument commercial. »

En résumé : votre engagement peut donc être :

• visible, assumé, au cœur de votre marque personnelle ;
• ou discret, intégré à vos choix internes (outils, process, fournisseurs, déplacements…) sans être au centre de votre communication.

Les deux approches sont valables : l’essentiel est la cohérence entre ce que vous dites, ce que vous vendez et ce que vous faites.

Pour intégrer les enjeux climatiques dans votre activité freelance sans vous perdre, vous pouvez avancer par étapes :

1. Mesurer

• Faire un premier bilan carbone (même approximatif) 
• Identifier les 2–3 postes d’impact majeurs liés à votre activité

2. Réduire

• Choisir une action simple dans chacun de ces postes : 
• déplacements : passer systématiquement au train sous un certain kilométrage ;
• numérique : prolonger la durée de vie de votre matériel, passer au reconditionné ;
• stockage : archiver et nettoyer régulièrement vos fichiers.

3. Clarifier votre rôle et influencer vos clients

• Décider avec qui vous acceptez de travailler (ou non).
• Pour chaque mission, identifier un micro-chantier où vous pouvez proposer une option plus sobre ou plus responsable.
• Documenter ces actions : elles nourriront votre légitimité… et votre portfolio.

4. Piloter sur la durée 

• Ajouter un indicateur « planète » à côté de vos indicateurs financiers : bilan carbone annuel, part de revenus issus de clients engagés, montant investi dans des projets régénératifs…
• En faire un rituel : chaque année, revoir vos objectifs et vos pratiques.

Intégrer les enjeux climatiques à son activité freelance ne revient pas à tout arrêter pour devenir militant à temps plein. C’est une façon de repenser son business comme un levier de soin, pour soi, pour ses clients, et pour le vivant auquel on appartient.

Vous n’avez pas besoin d’être parfait pour commencer. Mais vous avez, en tant qu’indépendant(e), une marge de manœuvre réelle.

Pour prolonger la réflexion, Thomas Burbidge approfondit ces idées (et bien d’autres) dans son livre « Sauver sa peau, sa boîte et la planète », publié aux éditions Eyrolles, disponible ici.

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